Mon nom est ALLEGRO.
Cela veut dire « Joyeux » en italien.
Et cela me va très bien !
I. Aujourd’hui
Je suis très heureux et de bonne humeur du matin au soir.
Je vis dans un grand domaine. On appelle cela une écurie, parce qu’il y a beaucoup de grands chevaux. Le centre s’appelle LOVERA, cela signifie aimer, au futur, dans une langue qui m’est encore inconnue. Il paraît que les chevaux y soignent les humains. Mais ça, c’est une autre histoire…
Dans ma maison vivent trois humains.
D’abord Aliséa, ma maman d’adoption. Puis Angelo, son bébé farceur, mon plus grand complice par le cœur, mais le plus petit par la taille. Et Océañ, le Papa d’Angelo. Angelo, lui, au moins, il a des parents qui s’occupent bien de lui.
Aliséa m’élève au biberon en même temps que son fils. Parfois elle me dit que je suis l’ange gardien d’Angelo, mais je crois qu’elle exagère. C’est lui le petit ange !
Aliséa, elle fait tout comme si elle était ma vraie maman. Elle me cajole quand, parfois, je suis triste, me rassure quand j’ai peur, m’explique quand je ne comprends pas, mais me gronde aussi quand je fais des bêtises…
Quand elle cuisine, elle me donne des fanes de carottes, des feuilles de salade et des épluchures de fruits. Au début, je n’aimais pas la nourriture des grands : les céréales, les fruits, les légumes, l’herbe, le foin… Je n’avais pas de dents pour les mastiquer. Maintenant, je commence à aimer. Surtout les pommes, les cerises et les pêches, c’est sucré, mhhhh…. C’est trop bon ! Aliséa me garde aussi le pain sec, j’adore, c’est terriblement croquant !
J’aimerais bien savoir pourquoi Angelo ne veut pas manger de l’herbe avec moi. C’est succulent, tendre, croquant et juteux à la fois et j’en ai à volonté ! Alors que pour tout le reste, il faut toujours attendre qu’Aliséa nous le donne, c’est vraiment embêtant ! Moi, contrairement à Angelo, je peux manger toute la journée ! C’est top d’être un cheval quand même !
Angelo, c’est mon meilleur ami, mon petit frère.
Au début, il était un peu maladroit avec moi. Il criait fort dans mes oreilles et me tirait les poils, au lieu de me caresser. Mais maintenant, on se comprend mieux. D’ailleurs, c’est grâce à moi qu’il a très vite appris à marcher, en s’agrippant à ma toison. Je faisais très attention lors de ses premiers pas, afin qu’il ne tombe pas. Désormais, il galope tout seul, à travers toute la maison et même dehors. Comme moi !
Je me demande pourquoi les humains ne savent pas courir à quatre pattes ! Ils ne galopent que sur deux jambes et ne vont jamais aussi vite que moi ! Pourquoi n’essaient-ils pas à quatre jambes ? ils iraient deux fois plus vite, non ? En tout cas, moi, si j’essaie de marcher sur mes postérieurs, je serai beaucoup plus lent, ça c’est sûr !
Oceañ, je ne le vois pas beaucoup : juste le soir, quand il se pose dans le canapé, au salon. Il parle alors avec ma maman ou lit des livres de grands. Pendant ce temps, Angelo et moi, nous jouons sur le tapis, doux comme de l’herbe, devant la cheminée, avant de nous endormir paisiblement.
Oceañ, il ne connait pas trop les chevaux. Cela explique qu’il me parle assez peu. Mais je crois qu’il m’aime bien, dans le fond. En tous cas, moi, je l’estime beaucoup. Il aide toujours Aliséa et Angelo quand ils ont besoin de lui. Je crois qu’il rassure ma maman, comme elle me rassure moi. Elle a besoin de lui, du coup moi aussi…
Avant
C’était différent.
Je ne me souviens pas de tout… Quand je suis né, ma mère ne voulait pas de moi. Elle m’a rejeté. Tout le troupeau a eu peur, à cause de ma mère qui me traitait comme un méchant ennemi à éliminer. Alors ils se sont tous mis contre moi, me chassant, me mordant et me donnant des coups de pieds, dès que j’essayais de m’approcher d’eux.
Je ne comprenais pas leur haine. Que leur avais-je fait ? J’arrivais tout juste sur Terre, j’étais innocent… Qu’avais-je de si singulier pour qu’ils me détestent tous ainsi ?Etais-je anormal ? Je ne l’ai jamais su, ni compris…
Seul, je serais mort, de froid, de faim, de souffrance, blessé sous leurs coups. Heureusement, un sauveur est venu à ma rescousse. Il s’appelait Marcellino. C’était un humain très gentil, qui s’occupait de ma maman et du reste du troupeau de chevaux miniatures. Il m’a sorti des pattes de tous ces monstres.
Au début, il a attaché les jambes de ma maman et a essayé de me faire téter… Mais rien à faire, elle ne voulait toujours rien me donner, malgré mes cris de famine. Alors il m’a séparé des autres, m’a mis dans un box tout seul et est venu me donner à manger souvent, jour et nuit. Calé contre son corps fort et protecteur, j’avalais goulument le lait chaud qui sortait du biberon, de peur qu’on me l’enlève avant que je sois rassasié.
Marcellino était gentil, plus gentil que tous les autres chevaux. Mais moins câlin qu’Aliséa ensuite. Quand il n’était pas là, j’avais peur et froid, surtout la nuit… Et j’étais triste, très souvent, très triste…
Au bout d’autant de nuits que j’ai de sabots, ma nouvelle maman, Aliséa, est venue pour m’adopter. Elle m’a amené chez elle et m’a installé un coin douillet, au chaud, dans sa maison.
Elle était très souvent là et tenaitgénéralement un bébé humain dans ses bras. Au début, elle le laissait dans une autre pièce lorsqu’elle venait me voir. Peut-être qu’alors elle avait peur, comme il était plus petit que moi, que je lui fasse ce que m’ont fait autres chevaux de mon troupeau… Mais moi, Angelo, je l’ai aimé tout de suite. Il sentait le bébé comme moi. J’ai compris que lui non plus ne pouvait pas se défendre seul contre les méchants.
Aliséa me laissait me coller contre elle, poser ma tête et mes petites jambes sur ses genoux. J’aimais sentir son corps chaud, son odeur, contre moi. Parfois même, elle me portait dans ses bras, comme elle faisait avec Angelo. J’avais tellement besoin d’une maman… Pourquoi ma maman avait été si méchante avec moi ? Si seulement Aliséa pouvait m’expliquer…
Elle nous donnait le biberon, à Angelo et moi, en même temps. Elle nous murmurait que nous étions ses bébés, tous les deux. Angelo et Allegro, frères de cœur, frères de lait, frères de câlins… Puis, elle nous chantait des berceuses et nous nous endormions dans ses bras, collés l’un contre l’autre.
Si les anges existent, alors c’est elle mon ange.
J’ai commencé à me sentir heureux. Je comprenais enfin que la vie pouvait être autre chose que la souffrance, la faim, le froid, la peur, la haine et l’exclusion… Je me mettais à rêver d’un pays plein de petits garçons et de poulains poneys, comme Angelo et moi, qui galopaient à la poursuite du pied de l’arc-en-ciel…
Plus tard
Dans quelques années, Angelo et moi aurons grandi.
Plus tard, une grande fille et sa chienne viendrons nous rendre visite.
La fille s’appellera Mahona. Elle sera comme Angelo, les cheveux palomino, les yeux bleus. C’est beau comme robe, si différent de la mienne et des chevaux que je connais. Moi, je suis comme Aliséa : les poils noirs et les yeux verts.
Mahona me racontera qu’elle aussi a deux mamans. Mercedes, celle qui l’a portée dans son ventre et qui n’a pas voulu d’elle. Et Carlène, celle qui l’a adoptée, qui a pris soin d’elle depuis qu’elle est toute petite et qui lui a appris tout ce qu’un humain doit apprendre quand il est enfant : parler, lire, écrire, être heureux avec d’autres humains, en parvenant à communiquer facilement avec eux.
Sa chienne Maluca sera aussi blonde que sa maîtresse. Chez les labradors on appelle cette robe « sable ».
Au début, je ne comprendrai pas ce qu’elle me dira. Elle m’aboiera dessus et j’aurai peur qu’elle m’attaque, elle aussi. Puis je devinerai que si elle saute vers moi en aboyant, c’est pour m’inviter à jouer. Alors on s’amusera comme des fous ! Elle, au moins, elle saura qu’avec quatre jambes, on courre plus vite qu’avec deux ! Parfois on fera la course et j’aurai du mal à la battre ! Angelo s’amusera tout autant avec Mahona, que moi avec Maluca !
Quand j’aurai presque fini de grandir, pour mon troisième ou quatrième printemps, Aliséa m’expliquera que je dois aller à l’école pour chevaux. Etrangement, Angelo continuera à grandir, lui. Il faut dire qu’il aura encore de la marge, avant d’atteindre la taille de ses parents. Angelo, lui aussi,ira à l’école, mais à celles des humains…
Au début, on sera triste tous les deux de devoir se séparer, alors qu’on est habitué à être ensemble, jour et nuit. Heureusement, notre maman nous expliquera que les petits garçons et les grands poulains n’apprennent pas la même chose. C’est pour cela qu’ils doivent aller dans des écoles différentes. D’ailleurs Mahona et Maluca, elles non plus ne vont pas dans la même école.
Par contre, nous nous retrouverons tous les soirs pour faire les quatre cents coup, inventer des jeux dont nous seuls connaîtrons les règles et nous faire chouchouter par notre maman.
Au cours d’un de ces moments où on ne sera que tous les trois, comme avant, Aliséa nous expliquera qu’Angelo et moi avons un peu la même histoire, la même naissance. Nos deux maman ont vécu un déni de grossesse : elles ne savaient pas que nous étions dans leur ventre, parce qu’une partie de leur tête n’était pas prête pour avoir un bébé.
Quand je suis arrivé pour de bon, ma maman a eu très très peur de moi. Elle ne comprenait pas qui j’étais et me prenait pour un inconnu très dangereux. Elle ne savais pas que j’étais son petit… Alors, je pourrai enfin lui pardonner tout le mal qu’elle m’a fait, étant donné qu’elle ne l’a pas fait exprès… Peut-être a-t-elle eu aussi peur que moi, finalement.
***
A l’école pour chevaux, je serai le plus petit. Ce n’est pas ma faute, c’est juste parce j’appartiens à la race des falabella. Les grands chevaux, eux, devront un jour porter des humains sur leur dos. Moi non ! Ou alors que de très jeunes enfants.
J’apprendrai plein de chose, je comprendrai plein de mots nouveaux. Quand on me dira de ne pas bouger, je resterai sage et attendrai les ordres. Quand on m’appellera par mon nom, j’accourrai. Je connaîtrai les différentes allures et je saurai même reculer sur demande.
Aliséa m’expliquera que j’ai un rôle à jouer à Lovera : aider à soigner les petits enfants. Quand on m’amènera vers l’un d’eux, je ferai très attention, comme ont fait Marcellino et Aliséa avec moi quand j’étais petit et vulnérable. Désormais, c’est moi qui rassurerai les petits, comme s’ils étaient de nouveaux Angelo, toujours et encore.
Je comprendrai ma mission : devenir un peu leur maman, leur Aliséa. Les protéger, les câliner et leur montrer le chemin, pour qu’ils n’aient plus peur, peur des autres plus grands et plus forts qu’eux, peur de la vie inconnue qui les attend…
Mon métier me plaira, je serai une petite fée au pays des enfants.
Aliséa me fera connaître d’autres chevaux miniatures qui aident les grandes personnes. Certaines remplacent leurs yeux, par exemple. Je mettrai du temps à comprendre comment ils font. Ils nous obligent à nous poser beaucoup de questions, ces humains, quand même !
Je me demanderai aussi pourquoi, alors que nous vivons ensemble depuis tant de siècles, chevaux et humains ne parlent toujours pas la même langue… Pourtant, un langage se développe forcément quand des individus cohabitent très longtemps ensemble, non ? Pour l’instant, la communication se limite aux gestes, aux mimiques et à des échanges verbaux, dans un seul sens. C’est un bon début…
Mais un jour, les humains et les chevaux auront-ils une vraie langue commune, comme au sein d’une seule et même espèce ?
Qu’en penses-tu ?
Peut-être préfères-tu les chiens, les chats, les lapins nains ou les cochons d’Inde ? Ou encore les perroquets, les perruches ou d’autres animaux qui vivent avec les hommes depuis très très longtemps, comme les moutons, les chèvres, les vaches, les poules, les oies et même les dindons !
N’as tu jamais rêvé pouvoir leur parler et qu’ils te répondent avec des mots semblables aux tiens ?