EPISODE 0 : MA NAISSANCE
-je pèse 3,130kg, je mesure 50,5 cm de long et ma tête fait 35 cm à l’équateur-
Maman explique dans d’autres écrits, comment j’ai changé d’univers, c’est-à-dire de quelle façon je suis passé de son ventre au monde dans lequel elle marche… Mais vous ne savez pas comment, moi, je l’ai vécu ! Je vais vous le raconter, du moins les détails dont je me souviens…
Mercredi 10 janvier 2018
Maman fut assez agitée, bien qu’elle resta à la maison. Elle rangea son bureau, les derniers papiers qui traînaient. Elle vérifia les sacs pour la maternité, une nième fois… Je la sentais fébrile, comme un animal qui fignolait et finalisait le nid où il allait accueillir son petit, sa portée ou sa couvée… Elle faisait tout lentement malgré sa fébrilité. Je commençais à peser sacrement. Elle restait beaucoup assise, dans son fauteuil au bureau, par terre pour ranger les affaires comme les vêtements, dans le canapé pour le reste. Quand elle montait les escaliers, je sentais son cœur taper comme un fou juste contre mes fesses, comme une douce fessée !
Moi, j’étais peinard. Je profitais de mon studio trois étoiles. Un peu étroit, mais tellement douillet et « toti-fonctions » !
Le soir, lorsque Papa fut rentré, Maman continua a bouger beaucoup, dans la mesure de ses capacités. Elle fit du ballon, car elle avait très mal au dos et en bas du ventre, dans le bassin, où j’appuyais fort avec ma tête depuis déjà plusieurs semaines. Ça se mit à bouger beaucoup, d’un côté, de l’autre. C’était doux, j’aimais bien. Le va-et-vient me berçait…
J’étais partagé concernant la suite des évènements, c’est-à-dire au sujet de mon existence future.
D’un côté, je n’en pouvais plus d’être enfermé. Je voulais sortir de mon nid, devenu vraiment trop étroit. Il me tardait de voir enfin cet autre monde que Maman percevait par ses yeux et dont elle me parlait si souvent. Cet univers dont presque tout m’était caché depuis le début…
Mais, d’un autre côté, j’avais peur de cet immense inconnu. Je sentais le temps me pousser inexorablement vers la sortie. Mais étais-je prêt ? En réalité, j’avais envie de rester encore quelques jours. Je supporterais l’exiguïté et profiterais de cette tranquillité, de cette sécurité aussi. Et j’aurais surtout cette certitude d’être toujours près de Maman…
Cependant le corps de Maman en décida autrement.
Jeudi 11 JANVIER 2018, le jour de MA NAISSANCE…
En pleine nuit…
Maman eut beaucoup de mal à s’endormir. Elle avait chaud, mal dans le bassin… Avait-t-elle trop bougé ? Ou était-ce moi qui prenait désormais décidément vraiment beaucoup de place ?
Dans la nuit, vers 2h, elle se leva faire pipi. De mon côté, je ressentis étrangement un tout petit peu moins de pression dans ma bulle. En réalité, je ne le savais pas, mais un peu de liquide était sorti de mon aquarium ! La poche des eaux s’était légèrement fissurée. Etait-ce suite à la gymnastique crépusculaire de Maman ???
Soudain, je la sentis paniquer ! Au lieu de se recoucher et de se rendormir, comme après chacun de ses pipis nocturnes (très fréquents, je vous avoue !), elle parla avec Papa, puis passa un coup de téléphone. On lui répondit de venir très rapidement à la clinique. Elle ne devait plus rester à la maison.
Elle courut (à sa façon, pachydermique…) à la douche, s’habilla aussi vite que je le lui permettais, puis descendit les escaliers. Papa fit de même. Pourquoi ??? De quoi avaient-ils peur ? Que se passait-il ? Je ne comprenais pas… Je pris peur à mon tour, du coup.
Soudain, le ventre de Maman se durcit et m’écrasa un peu. Mais pourquoi ? Je n’avais rien fait, moi… Heureusement, il se détendit de nouveau. Ouf… Je pus me détendre aussi, un peu. Mais je sentais Maman très stressée. Elle essayait de respirer profondément et lentement, mais j’entendais son cœur plus rapide qu’il y a quelques heures et son sang tourner plus vite dans ses artères ! C’était comme ça, je ne pouvais pas vraiment me l’expliquer. Lorsque Maman avait des émotions, je les ressentais immédiatement.
De nouveau, son ventre m’écrasa intensément. Ce n’était pas agréable du tout. Je sentis ses mains essayer de me rassurer en me caressant. Cela repartit, puis revint… Et ainsi de suite.
En route pour la maternité !
Entre temps, ils avaient chargé la voiture et nous étions en route. C’est Papa qui conduisait la voiture, Maman essayait de gérer la douleur qui la submerger par vagues. Lorsque son ventre m’écrasait, je sentais qu’elle avait mal, elle aussi. Peut-être même plus que moi. Je compris que ce n’étais pas elle qui contractait son ventre, comme cela arrivait parfois quand elle bougeait, se tournait, la nuit, ou portait des choses lourdes, le jour… Là, ça se faisait tout seul, malgré elle ! Comment était-ce possible ?
Pendant que nous roulions, il y eut beaucoup de « contractions » (c’était comme ça que ça s’appelait, d’après ce que je compris…). Toutes les cinq minutes environ.
Nous finîmes par nous arrêter et Maman sortit de la voiture. Debout je la sentais encore moins bien qu’assise. On rentra dans un bâtiment. Il y avait plein de gens réveillés alors qu’on était en plein milieu de la nuit ! Une fois de nouveau assise, on la trifouilla. Cela remuait au dessus de ma tête, comme plusieurs fois déjà ces derniers mois. Mais là, c’était une voix de femme que j’entendis à l’extérieur et pas celle de l’homme qui nous tripotait tous les mois. Maman se rallongea et attendit… Elle parlait un peu avec Papa, entre deux contractions.
Les écrasements autour de mon petit corps s’accélérèrent et je sentis Maman avoir de plus en plus mal, tandis que ma tête s’écrasait contre un truc mou et rigide à la fois. A quoi rimait cette mascarade ??? Pourquoi devions nous souffrir comme ça ? Quand son ventre se durcissait, Maman avait trop mal pour parler. J’entendais alors la voix de Papa qui essayait de la rassurer…
Soudain, je compris. C’était le début de la fin de ma vie ici. Je me souvins que Maman m’avait raconté que ça allait pousser brusquement, fortement, violemment même, vers le bas. On y était. Je n’aurais pas les quelques jours de tranquillité souhaités… Même pas trois ou quatre, pour avoir le temps de me préparer au grand saut dans l’inconnu…
Contraction, quand tu nous tiens !
Cela continua ainsi un bon moment… Vers 6h30, on vint chercher Maman en lui déclarant :
« Le travail n’a pas encore commencé. »
« Mon œil, oui ! Le ventre de Maman, je peux vous dire qu’il travaille drôlement beaucoup, depuis une ou deux paires d’heures déjà ! J’en sais quelque chose !!! Je suis le mieux placé, non ? »
On l’amena dans une autre pièce, en chaise roulante car, debout, elle n’était pas bien du tout. C’était sa future chambre, notre future chambre… Les écrasements étaient de plus en plus fréquents. Toutes les deux à trois minutes. Maman était inquiète. Elle attendait la suite… Papa aussi… Et moi aussi !!! Elle refit du ballon. Papa voulait l’aider. Je l’entendais souffler fort avec elle, pendant les contractions, mais ça ne la soulageait pas vraiment… Elle n’était pas rassurée et moi non plus. Pas plus que Papa, d’ailleurs…
Finalement, vers 8h, Maman sonna une infirmière. Elle lui expliqua qu’on devait venir nous chercher, mais il semblait qu’on nous avait oubliés… On l’amena dans une autre salle, presque la même que celle de l’arrivée, et on lui remit une ceinture sur le ventre. Elle souffrait et respirait fort. Moi, je sentais que ça poussait de plus en plus violemment et de plus en plus souvent. A chaque fois, je me mettais en boule, tout petit, en attendant que ça passe. Plus j’étais recroquevillé, moins j’avais la sensation d’être écrasé et moins je souffrais…
Au bout d’un moment, Maman se mit dans une baignoire, comme elle le faisait presque tous les jours à la maison. Je reconnus la sensation et le bruit de l’eau autour d’elle. Papa appela leur ami ostéopathe (mon futur parrain, aussi !) pour savoir s’il pouvait venir… Il est capable de déclencher un accouchement, c’est un magicien… Et il aurait peut-être pu nous aider ! Malheureusement, il était dans l’incapacité de venir dans l’immédiat…
Dans le bain, les contractions devinrent plus puissantes encore. Maman soufflait le plus fort possible, comme pour évacuer le trop plein de souffrance. Petit-à-petit, je sentis qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle n’arrivait plus à supporter ce mal à répétitions. Cela faisait plus de six heures que les contractions avaient commencé. Elle fatiguait… Sa résistance contre la douleur commençait à faiblir. Pourtant, elle n’est pas douillette, Maman ! Mais par moments, la contraction, semblable à un couteau lui lacérant le bas ventre, dépassait son seuil de tolérance et lui laissait échapper un cri…
Je n’étais pas serein. Je stressais même beaucoup. Que se passait-il exactement ? J’avais perdu toute communication avec ma maman. Pourquoi ne s’occupait-elle plus de moi ?
« Maman, rassure moi… »
Je sentais ses mains sur moi, sur le ventre, par moments, mais pas comme avant. Elle appuyait là où les muscles se contractaient si violemment, férocement, même, en bas, vers ma tête. Elle devait faire ça pour tenter d’avoir moins mal…
La péridurale…
Il était plus de 10h, lorsque Maman sortit du bain et vint se rallonger sur le lit. Elle appela la sage-femme, qui lui annonça enfin :
« Le vrai travail a commencé. Vous êtes à trois-quatre centimètres de dilatation. Vous pouvez désormais avoir la péridurale, si vous le souhaitez. »
Je sentis que, sur le coup, ces paroles calmèrent un peu Maman, même si les crampes continuèrent et ses râles de douleur aussi…
Moi, je ne bougeais pas. J’avais peur de la déranger. Peur de lui faire encore plus mal en bougeant, en lui donnant des coups de pieds ou de coude, par exemple. Et puis je voulais tellement que rien ne change. Pas déjà, pas aujourd’hui…. Je désirais tant profiter encore un peu de mon nid douillet, de sa voix feutrée, de ses caresses voluptueuses, de ce bonheur si parfait…
Finalement, alors qu’il était 11h passé, Maman changea encore de pièce. Cette fois-ci ce fut pour s’installer (enfin !) dans la salle d’accouchement. Elle s’assit et une voix d’homme s’adressa à elle. C’était une voix cool, amusante. Pas celle de son gynéco. En fait c’était un anesthésiste. Je sentis Maman rassurée. Moi, j’étais complètement écrasé car elle était penchée en avant au maximum, le monsieur trifouillant je ne sais quoi au niveau de son dos. Mais je ne bronchais pas, je me faisais le plus petit possible. Les choses semblaient s’arranger ou, du moins, avancer plus favorablement…
Dès que le monsieur fut parti, Maman se rallongea sur le dos et je retrouvai un peu plus d’espace. Elle avait toujours la ceinture, c’est-à-dire le « monitoring », pour écouter si son cœur et le mien allaient bien. Je la sentis sereine, détendue, heureuse. Pourtant les crampes continuaient au même rythme et toujours aussi fortes. Mais Maman semblait ne plus avoir mal, comme si elle ne sentait plus de douleur. Etrange… C’était sans doute grâce à l’intervention du monsieur à la voix rigolote. Mais qu’avait-il bien pu lui faire ? Peut-être l’avait-t-il hypnotisée ? Ou peut-être était-ce un clown ? Un clown hypnotiseur, ça existe ???
Maman me parla de nouveau. Elle avait dû entendre mes questions. Nous étions enfin reconnectés. Quel bonheur !
« Mon petit ange, tout va bien. Maman a eu très mal, mais maintenant un produit m’enlève la douleur. Mon ventre se contracte pour que tu descendes, mon amour. Pour que tu ailles doucement vers la sortie. N’aies pas peur. Je suis si impatiente de faire ta connaissance pour de vrai et de pouvoir te serrer dans mes bras, te couvrir de bisous… Viens, mon ange… »
« Mais Maman, j’ai peur, moi… Je ne suis pas prêt, aujourd’hui. C’est allé beaucoup trop vite ces dernières heures. Je veux rester encore un peu. S’il te plaît, attends trois jours de plus. D’ici là, je serai prêt. »
« Je ne peux pas, mon p’tit cœur. Je ne peux pas… Pour moi aussi c’est allé plus vite que prévu. Mais tu ne peux plus rester. Il y a eu une brèche dans ta forteresse. Elle ne peut plus te protéger comme avant, ni t’apporter tout ce dont tu as besoin. Maintenant, il faut sortir, petit lapin. Nous ne pouvons plus faire marche arrière, ni l’un ni l’autre. Aussi forte soit notre envie… »
Je ne répondis pas… Je fis la sourde oreille… Le ventre continuait à m’écraser. J’essayais de résister, de rester à ma place. Peut-être cela marcherait-il quand même, encore une journée ! Juste une petite journée de rab…
L’acharnement médical commence
Une dame revint et j’eus droit à un nouveau tripotage-farfouillage au dessus de ma tête. Je sentis d’un coup la pression de ma piscine baisser. Il y eut de moins en moins de liquide autour de moi et j’eus du mal à en avaler comme avant, lorsque j’ouvrais la bouche. La sage-femme avait percé la poche de eaux avec un genre de trocart. Jusqu’à présent, seule la première poche s’était fissurée, laissant s’échapper un peu de liquide. Il en était néanmoins resté assez pour amortir la pression de ma tête contre le col et retarder son ouverture. La conséquence de cette intervention fut que mon univers s’écrasa un peu plus et devint moins vivable…
« Mais Maman… ! Juste un petit jour de plus.. » l’implorai-je, en vain.
Un peu plus tard, alors que je n’avais pas bougé d’un iota, poursuivant ma résistance passive, je sentis une main revenir me trifouiller au dessus la tête. Une fine lame me scalpa la peau du crâne ! Si, si ! Ils m’ont entaillé la peau de la tête au bistouri, ces barbares !!!
« Mais ce n’est pas vrai ! Ils m’en veulent ! Il n’est vraiment pas sympa ce monde extérieur. S’ils pensent que c’est comme ça qu’ils vont me donner envie de le rencontrer ! Ils se mettent le doigt dans l’oeil ! Il faudra qu’ils revoient leur définition de l’hospitalité, ces sauvages ! De là où je viens, ce n’est pas du tout comme ça que l’on souhaite la bienvenue à un nouvel arrivant ! »
En fait, au cours des contractions, le monitoring ne détectait plus mon rythme cardiaque car les battements du cœur de Maman, captés au niveau de l’artère de l’utérus, étaient trop forts et recouvraient le bruit des miens. Par précaution, ils prélevèrent donc du sang sur une veine de mon crâne, afin de savoir si mon taux d’oxygène sanguin était correct et, donc, si mon petit cœur ne souffrait pas.
« Mon cœur physique va très bien, merci ! Par contre mon cœur émotionnel, lui, a très envie de pleurer… »
Quelques heures plus tard, encore, rien n’avait changé pour nous deux. Le col deMaman ne dilatait que d’un centimètre par heure, malgré la crevaison de la poche des eaux et l’inondation qu’elle avait provoquée sur le lit ! Mais la progression n’était toujours pas assez rapide. Ma tête aurait du faire ouvrir le col plus rapidement. Mais bon, ce n’était pas mon choix, alors rien d’étonnant que cela n’avance pas dans leur sens…
Ils trouvèrent une nouvelle cause à l’échec de leur méthode : je n’étais, soi-disant, pas dans la bonne position pour appuyer efficacement sur le col. « Tu m’étonnes ! Hihi ! » Ils mirent alors Maman pendant une heure sur le côté droit, puis une autre heure sur le coté gauche. Moi, je ne bougeais toujours pas. Je commençais même à m’endormir tranquillement, m’habituant, à la longue, à ces crampes régulières.
Il était 17h passé. Cela faisait presque une journée complète que le grand chamboulement avait commencé. Maman était zen et fatiguée ; elle avait sommeil, elle aussi. Le produit l’ensuquait, tout comme moi. Tous les deux, on aurait pu s’endormir pour une grosse nuit de plus de 12h… On avait besoin de se remettre de ces dernières heures éprouvantes. Je sentais et entendais le ventre de Maman gargouiller. Son estomac vide criait famine. Elle n’avait rien mangé depuis 24 heures. Malgré l’interdiction du corps médical, elle buvait de temps en temps. J’entendais l’eau résonner en arrivant dans son antre vide.
On était vraiment peinard tous les trois. Maman s’assoupit aussi, malgré les contraction rythmées de son ventre.
19h arriva, le personnel changea de nouveau. La sage-femme qui nous avait accueillis cette nuit, à 3h du matin, était de retour pour une nouvelle nuit de travail. Comme elle était plus sympathique que celle de la journée. Maman fut rassurée de la revoir. Par contre, la sage-femme aurait préféré ne pas nous retrouver dans cette configuration ! Cela devenait vraiment trop long, même pour elle qui semblait nous vouloir que du bien. Je sentais qu’elle irradiait de très belles ondes. Devais-je lui faire confiance, l’écouter ? Enfin me décider à bouger ? Je ne savais pas vraiment…
Elle préleva du liquide. Le résultat fut visiblement inquiétant. Elle dit à Maman qu’il fallait que ça avance vite, maintenant. Le liquide était marron verdâtre à cause de mon caca qui ne pouvait plus être nettoyé par le peu de volume qu’il restait…
Maman était dilaté à 9,5 cm. Elle pouvait commencer à pousser. Mais à chaque poussée, ma tête buttait contre ce truc en caoutchouc, beaucoup trop étroit pour qu’elle puisse s’y engouffrer. Dès que Maman arrêtait de pousser, je remontais tranquillement dans ma position initiale. « Pas possible de passer là dedans, ça va pas la tête ! »
En fait il y avait quelque chose qui empêchait le col de s’ouvrir plus, je ne sais pas trop ce que c’était… Comme une peau, un espèce de rebord. La sage-femme le sentait au toucher, mais elle n’arrivait pas à l’enlever. Elle n’était pas sereine… Du coup Maman se réveilla complètement de sa douce léthargie, de sa paisible quiétude. Elle qui pensait enfin voir le bout du tunnel, l’aboutissement de cet interminable travail… Comment ??? Ça ne fonctionnait toujours pas ? Après tout ce qu’elle avait fait et tout qu’on lui avait fait, au cours de cette interminable journée ? Je sentis un mélange de découragement et de panique l’envahir.
Le début de la fin…
Soudain, tout changea. Ce fut « le début de la fin ». Un homme entra dans la pièce. Je sentis sa présence forte, presque hostile, avant d’entendre sa voix, lourde, pas du tout agréable. Maman, quant à elle, crut voir le diable. Je sentis la crainte la saisir. Pire, une peur panique, qu’elle me communiqua…
L’homme s’approcha. C’était un gynéco, mais pas celui qu’on voyait régulièrement pour m’examiner et m’échographier. Ce dernier était jovial, rieur même. Même s’il n’était pas aussi rigolo que l’anesthésiste. Et Maman l’aimait bien. Surtout parce qu’il ne lui avait pas interdit grand choses pendant sa grossesse. Elle avait pu monter à cheval aussi longtemps qu’elle en avait eu envie. Et caresser le chat, bien qu’elle ne soit pas immunisée contre la toxoplasmose. Pour toutes les activités physiques, il lui avait dit :
« Vous arrêterez lorsque vous sentirez que vous n’en êtes plus capable. C’est votre corps qui décidera.»
Et en effet, Maman avait cessé de monter sur Duende et Kolina lorsque les secousses lui causèrent plus de douleur que de plaisir. Elle avait d’ailleurs ralenti petit à petit ses activités au fur et à mesure que son corps, et surtout moi, dans son ventre, lui disaient « Stop ».
Maman releva les jambes, pas comme avec la sage-femme, plus bizarrement, obéissant aux ordres tonitruants de ce suppôt de Satan. Elle poussa une fois, deux fois, trois fois, lorsque son ventre se contracta. Je me mis en boule, le plus haut et le plus petit possible. La voix du « mauvaishomme » devint plus forte, plus vilaine encore. Plus sadique, même. Il se fâchait contre Maman !!!
« Mais ce n’est pas vrai ! Elle n’a rien fait Maman. C’est moi qui ne veut pas que ça avance à leur rythme. Et puis ce n’est pas sa faute non plus si ça a démarré avant le jour J pour nous deux. Elle n’a pas fait exprès de rompre la poche des eaux. Il ne faut pas l’engueuler, Monsieur ! S’il vous plaît… Elle est fatiguée. Laissez-la se reposer tranquille… »
Soudain, je sentis que ça trifouillait très fort au dessus de ma tête. Pas du tout comme les autres fois. Un truc vint se coller violemment contre l’arrière de mon crâne. « Aïe ! Ça va pas non !!! Laissez-moi tranquille !!! » Lorsque la contraction suivante arriva, Maman poussa de nouveau et amplifia la crampe. Je crois qu’ils m’invitaient, pas très poliment, à sortir de là… « Pas question, je ne veux pas ! Ils ont l’air trop méchant dehors. Moi je veux rester dans le ventre de ma maman ! »
Le truc sur ma tête se mit d’un coup à me tirer fort, fort, fort et me fit très mal. Non, décidément, impossible d’obéir. Je me mis en boule avec les genoux le plus pliés possible, tout en haut du ventre de Maman. Et je résistai de toutes mes forces contre leur nouvel instrument de torture.
Le ventre se détendit. Ça tira encore plus fort ! « Aïe !!! » Maman parla fort au vilain monsieur et la gentille sage-femme fit de même, avec une voix plus douce, témoin de la crainte que lui inspirait son supérieur. Je sentais parfaitement que c’était ce monstre qui tirait sur ma tête comme une brute épaisse. Ce qu’il était assurément !
Il était 20h passé désormais… Le « mauvaishomme » lâcha prise. Je pensai un instant avoir avoir gagné la partie. Allait-il enfin me laisser tranquille ? Mais Maman tremblait de stress. Je crois qu’elle eut très, très peur que le monsieur m’arrache la tête et le bas de son ventre avec ! Je ne supportais pas de la sentir aussi mal… Je voulais que ça cesse et que nous retrouvions tous les deux notre quiétude du jour d’avant…
Il quitta la pièce en maugréant et en claquant la porte. Je crois qu’il ne supportait pas que je ne lui ai pas obéi ! Moi, un petit gars d’à peine trois kilos ! J’avais résisté face à un colosse de presqu’un quintal ! Mais David à l’époque n’avait-il pas vaincu Goliath… ?
Maman se mit à trembler de plus en plus. L’inquiétude reprit le dessus dans ma petite tête et mon petit cœur de bébé. Pourquoi ressentait-elle une telle peur-panique ? Une telle terreur, même ? Il était parti. Je ne comprenais pas…
L’issue forcée
En fait, en partant, il avait dit : « Qu’on prépare le bloc ! ». Moi, je ne compris ce que ça voulait dire… La sage-femme resta auprès de Maman et lui parla pour la rassurer.
Oulala ! Ça me plaisait pas… Je sentais, sans savoir de quoi il s’agissait exactement, que quelque chose se préparait. Quelque chose qui rendait Maman très inquiète, folle d’inquiétude même. Une événement à venir qui la terrifiait… Son corps entier tremblait comme une feuille. Et les larmes lui montèrent aux yeux…
« Mais pourquoi ??? Oh ! Maman ! Tu m’entends ? Je suis là, moi. Je vais bien… Il me manque, certes, un peu de liquide propre, pour être vraiment bien. Et celui qu’il me reste est de plus en plus opaque ! Mais bon, je peux encore supporter ça quelques temps. Il n’y a pas mort d’ange ! »
21h était passé… Maman changea encore une fois de lit et de pièce. On la transféra sur un lit à roulette. Comme elle ne pouvait pas bouger les jambes, ils la prirent à plusieurs, comme un jambon dans un torchon ! Ils nous amenèrent donc ailleurs. Mais Papa ne nous suivit pas, cette fois-ci. Il fit un bisou à Maman avant qu’elle quitte la pièce. Elle était en pleurs. Il essaya de la rassurer.
« C’est la dernière ligne droite. Après, on sera tous les trois… »
« Ah… Je me demande bien comment ils vont faire cette fois-ci ! Ont-ils un nouvel instrument de torture à utiliser ? Est-ce pour ça que Maman est si triste et a si peur ??? Oh !!! Quelqu’un pourrait m’expliquer ce qui va se passer ??? »
Nous sommes arrivés dans la nouvelle pièce… Maman tremblait toujours, par spasmes… On s’affairait drôlement autour d’elle. Et plus on s’affairait, moins elle bougeait. Je ne comprenais déjà pas pourquoi ses jambes et ses fesses ne bougeaient plus du tout depuis des heures. Mais là, elle ne bougeait même plus les bras et la tête ! En fait, on lui avait attaché les bras, tel le Christ sur la croix, mais à l’horizontale… Et l’anesthésiste lui mettait des doses de cheval dans le cathéter installé lors de la péridurale, au dessus de l’épaule droite…
« Maman, tu vas bien ? »
« Angelo, mon amour, tout va bien <3. » l’entendis-je me répondre dans mon cœur. « On va te sortir de mon ventre. Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas. Ce n’est pas comme je te l’avais décrit, comme je l’avais imaginé. C’est pour ça que je suis triste. Et aussi que j’ai peur… Mais nous allons nous voir très, très vite maintenant. Je t’aime, mon ange. Ta maman t’aime plus que tout. »
« Moi aussi, Maman, je t’aime <3. Et j’ai tellement besoin de toi… »
A peine avais-je émis cette pensée dans mon cœur, à mon tour, que tout se précipita au niveau de ma tête.
Soudain, une vive lumière m’éblouit, intensément, violemment. Des trucs comme les mains de maman, mais moins doux, m’attrapèrent la tête et me tirèrent par la plaie béante. On m’arracha brutalement, instantanément, irrémédiablement et irréversiblement au ventre de Maman… Le grand saut ! On y était. J’y étais seul… Sans l’aide de Maman… Ils avaient gagné… Il était presque 22h. Ce fut l’heure officielle de ma naissance parmi eux.
Ce n’est pas fini…
De nouvelles tortures m’attendaient, comme prévu… Je ne pus ouvrir les yeux, tant le rayonnement me brûlait les yeux. J’eus très froid d’un coup, un frisson glacial parcourut mon petit corps nu, tout mouillé de liquide amniotique et de sang… Je ressentis simultanément une vive douleur aux oreilles. Un bruit insupportable me martelait les tympans comme des massues.
« Maman, où es-tu ? » Je n’entendis pas sa réponse…
On m’amena ailleurs, loin d’elle… Une fois dans cette nouvelle pièce, on me mit un tuyau dans la bouche. « Beurk, c’est dur et pas agréable du tout. Ça fait mal, dans ma petite bouche toute neuve ! » Soudain, alors, je sentis dans mes poumons comme une énorme déchirure. L’air environnant y pénétra et provoqua une forte brûlure dans mon thorax. Je criai de douleur.
Voilà pourquoi je ne voulais pas sortir ! Je pressentais qu’on allait me torturer ! Et Maman n’était plus là pour me protéger de ses mains douces et pour me rassurer de sa voix caressante. Et Papa ??? Où était-il ? Pourquoi n’était-il pas avec moi ? M’avait-il abandonné, lui aussi ? Devait-il surveiller Maman ? Pourquoi me laissaient-ils seul, avec ces étrangers tortionnaires ??? Je suis si triste… Et j’ai très peur. Peur de souffrir encore et encore… Sans limite, sans fin. Peur de mourir même, aux mains de ces barbares…
Ma peur n’était pas veine, malheureusement. La torture se poursuivit… On me passa un tuyau dans la gorge et je le sentis arriver dans mon estomac. Quelle horreur ! Voulaient-ils m’embrocher vivant, ces monstres ! Puis on me grattouilla l’oreille, pour un autre prélèvement. « Non mais, laissez-moi tranquille !!! Ouaiiiiiinnnnnn !!! Je veux voir ma maman et mon papa… »
On me frictionna, me lava, me sécha. Et je repartis une fraction de seconde dans la pièce où était Maman. Que signifiait tout ce va-et-vient ? Je sentis la présence de Maman toute proche. Ses lèvres effleurèrent ma tête, comme la caresse d’une plume. Ils ne lui laissèrent me faire qu’un baiser furtif. Elle, elle put enfin me voir. Moi, trop ébloui, je gardais les yeux bien fermés.
Puis on m’emmena encore ailleurs. Cette fois-ci, je fus mis dans les bras de Papa. Je reconnus son odeur, ses mains, sa voix. Etait-ce le début du mieux ? Les prémisses d’un nouveau bonheur ? Le bonheur terrestre. Sa peau chaude contre la mienne m’apaisa. J’avais de nouveau bien chaud. Je me sentis plus en sécurité. Mais une idée fixe me tourmentait. « Où est ma maman ? » Quand j’essayais de lui parler, je ne recevais aucune réponse en retour. « Maman… ??? »
Les minutes qui suivirent me parurent une éternité… « Maman est-elle morte lorsqu’on lui a ouvert le ventre ? Est-ce pour ça que je suis avec Papa ? NON !!! Pas ça !!! Est-ce de ma faute ??? Parce que je ne voulais pas sortir ? Du coup, lui ouvrir le ventre pour me faire sortir de force a fini par la tuer ? NON !!! Maman… »
Je sentis soudain sa présence dans la pièce. « Maman, mon amour, mon tout… » La sage-femme qui nous avait accompagnés toute la soirée, dans cette pièce, me prit des bras de Papa. Je me remis à pleurer. J’avais si peur de les perdre de nouveau, mes parents. Pourquoi ne m’amenait-il pas voir Maman lui même ? Je craignais le pire…. Papa ne voulait-il pas voir le cadavre de Maman ? Non !!
Enfin… !
La sage femme me mit dans les bras de Maman. Elle était bien là et surtout…bien vivante ! Elle me parla. J’étais ivre de joie, de bonheur. Je sentais qu’elle aussi. Elle n’avait pas choisi qu’on soit séparé comme ça si longtemps…
J’avais faim. Je voulais du lait. Je fus saisi d’un irrésistible besoin de téter. Une envie plus forte que moi. Téter Maman… Etre nourri par elle, encore… Comme avant, dans l’autre vie… Les yeux fermés, je sentais sa peau chaude, l’odeur si familière de ce corps qui m’avait porté depuis l’origine… Je respirais aussi l’odeur du lait ! Plus forte encore que celle de Maman. Soudain, une sphère chaude arriva près de mes lèvres. C’est de là que venait ce délicieux parfum. J’ouvris le bec, comme lorsque je buvais le liquide amniotique. Un liquide chaud et épais entra dans ma bouche ! C’était bon… Il avait goût de Maman…
Après tant de moments infernaux, la porte de l’enfer se referma et s’ouvrit celle du paradis. Le lait coulait dans ma bouche, descendait dans mon ventre. Il m’apaisa, me combla. J’avais bien chaud. J’étais enveloppé par ma maman, son odeur, ses bras, sa voix, ses baisers… Elle avait eu raison. Tout s’était bien fini, étant donné que j’étais là, avec elle, presque comme avant le grand saut… (mais pas tout à fait quand même!).
Le bonheur semblait exister aussi dans cet autre monde. Le monde de mes parents. D’ailleurs Papa était tout à côté de nous, comme dans notre vie d’avant, quand, tous les soirs, mes parents me caressaient et me parlaient tendrement, amoureusement, à travers la peau du ventre de Maman… <3 <3 <3
Qu’elle aventure c’est très beau bisous a tous les trois
MAGNIFIQUE UN BEAU MOMENT D’AMOUR
Quel texte vraiment magnifique où on a tour à tour les angoisses de 7 enfants avec un brin d’ironie et beaucoup d’humour
L’écriture de ce texte est très bien fait. Fille intelligente, pleine d’humour. J’ai été très touchée, presque au bord des larmes, amusée et émerveillée. C’était vraiment un régal! J’accompagne Angelo dans ses débuts et je continue avec le reste des aventures… Bravo jeune fille pour votre forme d’expression.