MA MÉTHODE POUR MATHER LES CHEVAUX !
Introduction : révélation d’une vocation
Mon début dans l’enseignement s’est fait presque par accident. C’était une option de survie, un choix par défaut. Du moins, c’est ce que je pensais à ce moment-là…
Avec le recul, je me dis que c’était mon destin. L’enseignement des sciences (mathématiques essentiellement) me plut d’emblée, dans la formule de cours particulier. Ce tête-à-tête avec un élève était un exercice très proche du travail d’un cheval, mon loisir préféré (et même ma plus grande passion) depuis une vingtaine d’années.
Je m’excuse par avance si mon propos choque certains parents, enseignants, élèves, cavaliers, moniteurs… Ce n’est pas du tout le but de mon témoignage. Je souhaite au contraire montrer l’universalité et la simplicité du processus d’apprentissage et de la fonction d’enseignant, et surtout le bien-être et le bonheur que cette relation formateur-apprenant peut engendrer.
S’occuper d’un cheval ou donner un cours particulier joue sur les mêmes leviers : ces activités apportent les mêmes satisfactions, posent les mêmes difficultés, donnent les mêmes joies, le même genre d’épanouissement et sont toutes deux sources de valorisation. En réalité, l’enseignement des maths à un élève et l’apprentissage des bases de dressage à un cheval relèvent des mêmes principes.
1. La rencontre
Quand je vois un élève (ou un cheval) pour la première fois, l’impression initiale est décisive pour la suite. Un espèce de sixième sens me fait immédiatement sentir quelle sera la qualité de la relation à venir. Je ressens l’énergie vitale de l’être en face de moi (mou ou dynamique). Je ressens sa sympathie ou, disons, son envie de communiquer : son désir que je communique avec lui (écoute, regard curieux…) et celle qu’il a de communiquer avec moi (réponses à mes sollicitations, nouvelles questions, attente du prochain geste…).
J’essaie d’être à la fois transparente et forte, c’est-à-dire de paraître moi-même le plus naturelle possible (pour donner une image réaliste de la relation que je propose), mais en endossant quand même mon rôle (enseignant ou cavalier, donc, quoi qu’il en soit, celui de leader).
Les premières années, comme j’étais très introvertie, cette rencontre me coûtait toujours et me stressait à l’avance. J’avais peur d’être ridicule, de ne pas assurer, de ne pas être à la hauteur de la mission qu’on me confiait, peur de ce que l’autre pouvait penser…
Au cours des années, avec l’expérience et l’habitude, j’ai pris confiance en moi, en ma capacité d’être perçue en leader rassurant au premier abord et surtout en restant moi-même. Petit à petit du statut de personne timide qui jouait à s’imposer, je suis passée à celui de guide bienveillant.
2. Les premières séances
Tout comme la rencontre initiale est décisive, les premières séances le sont tout autant pour le bon déroulement de la relation à long terme. Il s’agit de permettre une découverte réciproque, de prendre des habitudes en composant avec les capacités et limites de chacun. C’est au cours de ces premières séances que le couple va expérimenter sa capacité à avoir une progression (et une production) de qualité.
avec les élèves
L’élève va prendre ses repères vis-à-vis de moi, m’accorder sa confiance (ou pas !). Il va se « lâcher », c’est-à-dire exprimer ses réelles difficultés (vis-à-vis de la matière, du professeur, de ses parents, de la classe, de son orientation….) et ses stress (peur de l’échec, peur de ne pas être pris dans la filière souhaitée, pression des parents, fierté personnelle…).
A moi d’être LA personne dont il a besoin à ce moment précis. Je suis alors totalement à l’écoute et en empathie avec lui, afin de m’imprégner de son caractère et de voir sa vie à travers ses yeux. Le fait de venir chez lui, d’entrer dans son intimité (maison, chambre, famille) me facilite beaucoup les choses. Depuis le temps, j’ai développé la capacité de cerner le profil psychologique d’un élève dès la première ou deuxième séance (fainéant, stressé, en manque de confiance, étourdi, dans la lune, naïf, franc, roublard…).
Je lui tiens toujours un peu le même discours afin que, pour lui, ma position soit très claire, sans ambiguïté :
« Je suis là pour t’aider à progresser.
Je ne suis pas « tes profs », je ne suis pas là pour te mettre la pression, te punir etc. Si tu ne comprends pas, je t’expliquerai jusqu’à ce que tu aies compris. Mais demande-moi. Si je parle dans le vide et que tu fais semblant de comprendre, nous perdons notre temps tous les deux. Et de toute façon je verrai très vite que tu n’as pas compris.
Je ne suis pas non plus tes parents, je ne m’immisce pas dans ta vie personnelle. Je n’ai pas la responsabilité de ta vie et de ta bonne éducation.
J’ai un rôle très précis à jouer dans ton quotidien et je ferai au mieux pour remplir ma mission. Je peux être très proche, à ta disposition, à ton service. Mais c’est donnant donnant. Tu dois m’accorder ta confiance et être fair-play. Pas de mensonge en ce qui concerne notre travail. Si tu n’as pas le temps de faire les devoirs que je te donne, tu me le dis. Tu n’auras pas de sanction, si c’est justifié. Par contre, si tu me racontes des histoires et romps notre contrat moral, j’en réfère à tes parents, qui te traiteront comme tu le mérites, en enfant irresponsable. A toi de choisir d’être traité ou non comme un adulte et respecté comme il se doit.
Je ne suis pas ta copine, encore moins ton larbin, mais un aide sur qui tu peux compter jour après jour, mois après mois, année après année… »
avec les chevaux
Les premières heures passées ensemble établissent, là aussi, les règles de fonctionnement de la relation à long terme. Tout cheval que l’on ne connaît pas va tester à sa manière son interlocuteur. Pour que la « mayonnaise prenne », il faut doser subtilement la tendresse et la fermeté.
Je n’oublie jamais, quand j’aborde un cheval, qu’il lit mon état émotionnel sans doute mieux encore que je ne lis le sien. Ainsi, plus je suis détendue et sûre de moi et mieux cela se passe, car le cheval me fait confiance. Les chevaux savent instinctivement que les personnes qui réagissent calmement ont une forte personnalité. Ils ont besoin d’interlocuteurs qui trouveront les solutions les mieux adaptées en cas de stress important. Car n’oublions jamais que le cheval est une proie et que sa plus grande difficulté dans sa relation avec les humains est d’oublier d’avoir peur en permanence. Le calme et la lenteur les rassurent. Mais il faut une lenteur fluide et dynamique… du type de celle utilisée en yoga ou dans les arts martiaux.
Lorsque le cheval dépasse le cadre que je me suis fixé, il doit en être informé, dans la seconde, par un recadrage vif, strict, mais sans affolement, ni agressivité réelle. Être strict est le contraire de se mettre en colère. C’est difficile à appliquer pour bien des gens et, pour ma part, j’ai mis des années à comprendre que c’était possible.
Avant, lorsque le cheval dépassait les limites, je me fâchais, énervée, laissant s’échapper mes émotions (colère et angoisse), révélant mon manque de contrôle. Mais le cheval mime nos émotions. Plutôt que de le remettre dans le droit chemin, soit cela lui insufflait aussi une angoisse ou une colère incontrôlée, soit il se détachait émotionnellement de moi, étant donné que la relation, trop négative, ne lui apportait pas ce dont il avait besoin.
Être strict, c’est établir clairement la place de chacun et les actions que chaque interlocuteur peut avoir ou pas, ses droits et ses devoirs, en quelque sorte.
C’est comme si lors de ces première séances je disais au cheval :
« Moi, je suis ici, j’ai un espace vital. Tu peux y entrer si je t’y invite, mais sinon tu n’y es pas le bienvenu et je te chasserai. (Les chevaux font exactement pareil avec nous, car c’est leur mode de fonctionnement entre congénères.) Je te propose que nous fassions ceci et cela ensemble. Tu ne sais pas pourquoi, moi oui. Je ferai toujours en sorte que tu comprennes mes demandes et que tu ne sois pas effrayé par la nouveauté. Mais pour arriver à avancer tous les deux, j’ai besoin que tu m’accordes ta confiance. Plus tu me la donneras, plus je te laisserai le champ libre. Exprime-toi, ne te braque pas, ne me mets pas en danger, pas plus que toi, par un manque de communication. Si tu ne comprends pas, ne te fâche pas, signifie-le moi à ta manière, le plus calmement possible. Je ne le fais pas exprès et je ferai de mon mieux pour renouveler ma demande autrement, plus clairement, de façon à ce que ce soit plus facile pour toi. »
3. Le travail au court du temps
Comme pour n’importe quel couple, des habitudes se mettent en place, une routine, avec plus ou poins d’osmose et de tensions. Toute séance a une introduction, un développement, une conclusion.
(Comme les séances de travail se déroulent de façon très similaires que ce soit avec mes élèves ou mes chevaux, je vais parler le plus souvent possible des deux simultanément.)
L’introduction
Elle permet l’entrée en matière : après les salutations amicales de rigueur, les premiers gestes et paroles donnent la température du moment, l’humeur et l’état d’énergie des deux interlocuteurs. Ces premiers instants prédisent si le cours se déroulera facilement ou dans la tension, avec légèreté ou fatigue, avec coopération et joie de vivre, ou en ronchonnant et en traînant les pieds…
Comme dans toute dissertation et réflexion analytique, le plus important est de s’interroger sur la problématique du jour. Quel est le but de la séance ? Quelles difficultés anciennes faut-il combattre ? Quelle difficulté nouvelle s’est rajoutée ces derniers jours ? Quels pas peut-on faire aujourd’hui pour avancer vers les buts à long terme ?
La réponse à ces questions constitue le plan de la séance.
Le développement
Je passe ensuite aux exercices à proprement parler, en suivant le mieux possible le plan que je me suis fixé. On commence par le plus urgent, le plus nouveau, le plus difficile. Quand ça coince, je bascule sur des exercices plus simples, plus ludiques, pour ne pas rentrer dans une logique d’échec, mais toujours garder l’élève (humain ou équin) dans le cercle vertueux de la progression et de la réussite.
Comme le préconisait déjà le grand écuyer François Baucher au 19ème siècle, quelle que soit l’ampleur du programme envisagé, je m’efforce d’aller lentement en assurant chacun de mes pas. (« En dressage, on veut toujours aller trop vite. Pour arriver promptement, ne pas se presser mais assurer solidement chacun de ses pas.« ) Le but n’est pas de faire beaucoup (et toujours plus !) en une séance, mais que ce qui est fait le soit bien, compris, sans forcer trop, avec une facilité suffisante pour que l’élève n’appréhende pas d’y revenir la prochaine fois. Pour cela, mon langage doit être clair et je dois m’assurer que toute information est comprise, avant de passer à la suivante.
J’essaie de demander peu et d’encourager, féliciter beaucoup, suivant toujours la philosophie du maître Baucher. (« Demander souvent ; se contenter de peu ; récompenser beaucoup.« ) Je garde toujours en tête que ce qui est évident pour moi ne l’est pas pour l’élève.
Avec les années, j’ai appris et compris que la progression était bien meilleure lorsque l’apprentissage se faisait dans le plaisir et non dans la contrainte. Même pour moi, c’est plus agréable et moins fatigant nerveusement. C’est mon optimisme et ma joie de vivre que je communique à mon élève, afin de le mettre dans le même état d’esprit.
Remarque : j’en veux beaucoup à tous ces enseignants de disciplines scientifiques et moniteurs d’équitation qui m’ont mis dans des états de stress inimaginables, estimant que la meilleure pédagogie était celle du maître tout puissant et de l’élève qui courbe l’échine et obéit. Avec moi, cela a fonctionné un temps. Né dans une famille d’enseignants, j’étais persuadée que les profs étaient des demi-dieux et qu’ils détenaient la vérité absolue. Bref, j’ai longtemps pensé que les professeurs avaient toujours raison et que si l’on suivait leurs directives, on réussissait forcément.
Ces moments de stress, qui ont connu leur paroxysme lors de mes premiers cours d’équitation, puis quelques années plus tard, en classe préparatoire, m’ont beaucoup abîmée psychologiquement. Ma confiance en moi m’a abandonnée pour très, très longtemps…. Or la confiance en soi est le meilleur atout pour réussir à la fois dans la vie (professionnellement) et sa vie(se sentir bien dans ses baskets). Je me disais que si je n’y arrivais pas, c’était forcément de ma faute : j’étais trop nulle, inadaptée à ce qu’on me demandait, etc. En fait, la pression engendrait des effets délétères sur mes réelles capacités d’apprentissage. Ces émotions négatives, exacerbées par mon hypersensibilité, inhibaient complètement mon intellect…
Avec mes élèves (de tout poil), je veux à tout prix éviter cela. Jour après jour, je réalise à quel point la peur, et donc le manque de confiance en soi, fait passer le meilleur d’entre nous pour un sombre abruti… Ainsi, je m’efforce de dédramatiser la difficulté et les enjeux, afin d’arriver a être le plus possible dans le moment présent.
Remarque : Mon expérience d’enseignante (et d’«entraîneuse ») me montre chaque jour à quel point tout élève (et cheval) intervient de façon unique dans notre relation et apprend à sa manière. Toute la difficulté de la pédagogie est de trouver les ficelles permettant de laisser s’exprimer le talent de chacun, au maximum de sa potentialité. L’apprentissage est tout sauf le formatage dans un moule unique… Ceci vaut même pour des disciplines comme les maths et le dressage qui semblent à priori rigides et stéréotypées. Pour arriver à un résultat proche on peut passer par des voies extrêmement variées, adaptées aux singularités et facultés de chacun.
avec les élèves
Je dois toujours garder à l’esprit que l’élève prend des cours de maths car il n’est pas spontanément à l’aise avec cette discipline (pour des raisons diverses et variées).
Petite parenthèse à ce sujet : c’est justement le fait que les maths n’aient pas été une évidence pour moi au départ, qui m’a rendue pédagogue. Car oui ! contrairement à certains petits génies qui me faisaient crever de jalousie au lycée et en classe prépa (maths-sup bio), j’ai connu l’échec en maths. J’ai moi-même très souvent éprouvé le sentiment d’être dépassée, perdue, noyée, devant toutes ces formules et théorèmes qui semblaient encore pires qu’une langue étrangère. C’est en me souvenant de cet état d’angoisse, que je reconnais si souvent chez mes élèves, que j’arrive à adopter l’attitude juste, rassurante, qui va les faire petit à petit sortir de la logique de l’échec.
Pour de nombreux élèves, les mathématiques sont vraiment une langue étrangère et c’est volontairement que je reprends ce terme lorsque je leur parle de ce « monstre austère et anxiogène », avec lequel j’ai mission de les familiariser !
« Les maths ce n’est pas si compliqué, c’est juste une langue très spéciale. Je vais t’aider à traduire ces termes et à comprendre les cours de ton prof et les énoncés des exercices. Je t’apprendrai ainsi à t’exprimer dans cette nouvelle langue.
En fait, c’est comme un jeu de cartes. Si tu ne connais pas les règles, tu restes en dehors de la partie, tu la regardes en te sentant complètement abruti et écervelé. Mais si quelqu’un t’explique les règles, non seulement tu comprendras le jeu des différents intervenants, mais, encore mieux, tu pourras y jouer ! Plus tu joueras, meilleur tu deviendras, et plus tu prendras de plaisir à jouer ! Quand tu commenceras à gagner, tu voudras rejouer de nouveau, pour renouveler ce plaisir de « la gagne » ! »
Et c’est réellement ce qui arrive au fil des mois. Un beau jour, l’élève parvient à terminer un long calcul et obtient le résultat demandé… Et là : il est fier et heureux ! Il a été capable de quelque chose qu’il pensait impossible, lui qui a toujours était « nul en maths » !
Souvent les élèves me demandent :
« Les maths, à quoi ça va me servir dans la vie ? Pourquoi est-ce que je dois savoir déterminer une dérivée ou une intégrale, démontrer qu’une suite est géométrique ou arithmétique ou encore calculer le volume d’une prisme droit à base octogonale ? »
Là encore, je leur réponds avec le plus de sincérité possible :
« Les maths te serviront à bien plus de choses que tu ne peux te l’imaginer aujourd’hui, crois-moi. Il est fort probable que, dans ta vie future, tu ne construises pas quotidiennement des tableaux de variations. Mais garde à l’esprit que les maths sont partout, dans toutes les formations post-bac. Et en France, c’est le moyen de sélection le plus répandu… Si tu es bon en maths, tu passes avant les autres, c’est un fait. »
Lorsque ces arguments ne les convainquent pas, il m’en reste d’autres :
« Les maths t’aideront tout au long de ta vie pour raisonner. Elles constituent à la fois une gymnastique mentale et une école de rigueur. Quand tu réfléchis, cette discipline t’amène à être logique, à avancer progressivement, sans perdre de vue la chute de ton raisonnement. Les maths aident non seulement à la réflexion, mais également à l’expression. Chaque symbole mathématique a une signification précise et doit être utilisé à bon escient, tout comme les mots de la langue française. Quand la pensée est claire et précise, le verbe et la plume le sont tout autant. Une qualité de plus en plus rare de nos jours. C’est sans doute pour cela qu’on a fait des maths un tel outil de sélection… »
avec les chevaux
Même difficulté : ma langue leur est inconnue de prime abord. A moi de la leur rendre familière, afin de permettre une communication suffisante et rassurante. Lorsque le cheval comprend ce que je lui demande et exécute l’exercice correctement, si je lui montre ma joie en le félicitant généreusement, je ressens sa fierté, et son soulagement, aussi.
Me prenant pour son leader, le cheval fait tout pour suivre mes indications. Il a confiance en moi, je suis son protecteur, sa zone de confort. Mais toute sollicitation de ma part le met dans un certain inconfort, un stress plus ou moins grand, qu’il n’aspire qu’à faire disparaître en exécutant le geste demandé. Lorsque sa bonne volonté est récompensée, il redescend en pression, revenant dans un état de bien-être qui l’incite à poursuivre sa relation avec moi.
Toute résistance de la part du cheval vient en général d’une incompréhension. Soit il ne comprend pas correctement mes ordres et ce flou le stresse, soit c’est moi qui n’ai pas perçu qu’il n’était pas capable physiquement de réaliser le mouvement demandé.
Un cheval, surtout lorsqu’il est jeune, a en général envie d’apprendre pour faire plaisir à son leader, ou plutôt pour être en osmose avec lui. Il a besoin de sentir mon enthousiasme à faire l’exercice avec lui, la joie étant communicative.
L’équidé a besoin de précision dans les demandes qui lui sont adressées, car contrairement à ce que l’on pense, le cheval perçoit des aides et des ordres très fins. C’est sans doute ce qui est le plus difficile dans sa communication avec l’être humain. S’il n’exécute les ordres que lorsqu’ils sont forts, voire brutaux, c’est parce que s’ils sont émis de manière plus légère, ils sont incompréhensibles, car trop brouillons ou contradictoires. Il se peut aussi que la personne qui les donne ne capte pas l’attention de son collaborateur, pour une autre raison, comme par exemple un manque de bienveillance, qui empêche l’instauration d’une relation de qualité.
On est loin de la maxime : « Le prof a toujours raison » ! Ici c’est plutôt : « C’est toujours la faute du prof… » !
La conclusion
Toute séance doit se finir positivement. Pour cela, le dernier exercice sera de préférence assez facile pour être réussi avec plaisir. Si, vers la fin du cours, un exercice difficile ou nouveau est parfaitement réalisé, le mieux est d’en rester là.
La mémoire inconsciente se souviendra de l’impression générale et des émotions ressenties lors de ces derniers moments passés ensemble. Il faut un retour au calme, au bien-être. L’élève (ou le cheval) aura un regard positif sur la séance faite et donc sur lui-même. Sa confiance en lui grandira, ainsi que son envie de collaborer avec son leader…
4. Le jour de l’échéance
Evidemment, le travail ne peut être toujours « slow and well ». Tout exercice a aussi un but lié à des contraintes extérieures au couple. L’élève a des évaluations, des interros. Le cheval se prépare pour des sorties en extérieur, en spectacle, en concours…
Ces échéances sont des vecteurs de stress pour l’élève, ainsi que pour le cavalier. Le cheval, lui, ignore ce qu’est un calendrier, mais il ressent, à l’attitude plus tendue de son cavalier, que quelque chose d’anxiogène va se produire…
Pour être aussi performant le jour J qu’à la maison, il faut conserver le même état d’esprit. Ne pas se dire qu’on joue sa vie. Et surtout ne pas se fixer des objectifs trop élevés. Car il y a beaucoup de chances que ce soit, malgré tout, plus difficile dehors. Le plus sage est donc de se contenter de peu au début et de se réjouir de toute progression, si minime soit-elle.
avec les élèves
Le plus grand piège, pour un élève en contrôle de maths, c’est d’avoir le sujet dans les mains et, devant l’ampleur du devoir et le peu de temps imparti, de se dire qu’il n’arrivera jamais à finir.
Je lui réponds :
« Tu n’envisages pas d’avoir 20/20 pour le moment, tu vises déjà d’avoir la moyenne ! En cours d’année, 12 ou 13, ce serait super. Pour avoir la moyenne, il te suffit de faire la moitié des exercices JUSTES ! »
Une des difficultés en maths, qui vaut souvent à cette discipline d’être considérée comme très injuste, c’est qu’un exercice fait, mais faux, rapporte souvent aussi peu de points qu’un exercice non fait.
Un autre piège dans lequel tombe souvent l’élève (et que je comprends d’autant mieux que j’en ai été victime moi-même), c’est de commencer un exercice et, n’arrivant pas à faire la première question, de se mettre à paniquer, se dire qu’il est foutu, qu’il n’arrivera à rien faire du tout, étant donné qu’il n’a même pas réussi la première question du premier exercice !!!
Je le rassure :
« Avant de commencer le devoir, lis-le en entier et repère les questions que tu reconnais. Commence par celles-là, cela te rassurera car tu sais les faire. Ne pense pas aux autres. Tu les aborderas uniquement s’il te reste du temps. Dis-toi bien que toute question que tu traites doit te rapporter des points, sinon cela ne sert à rien de perdre ton temps ! Avoir des points en maths, c’est avant tout une question de stratégie. »
Je leur raconte toujours cette anecdote :
« J’avais deux élèves dans la même classe, en TES. L’une comprenait très bien, très vite, mais elle était très stressée et du coup très brouillon. L’autre avait des lacunes énormes et il fallait lui expliquer plusieurs fois avant qu’elle comprenne. Incontestablement, la première avait un meilleur niveau que la seconde. Mais la première a eu 9 au bac et est allée au repêchage à cause des maths, alors que l’autre a eu 13 et son bac du premier coup.
Pourquoi ? Question de stratégie et de confiance en soi ! La première a fait des tas de brouillons, de peur de se tromper sur sa copie, et elle a oublié de mettre les brouillons dans sa copie ! Elle a complètement paniqué et perdu les pédales. L’autre a fait tranquillement les exercices qu’elle maîtrisait : les probabilités et les statistiques à l’époque, ainsi que le QCM avec des pourcentages et des lectures graphiques. Puis elle a grappillé quelques points sur le gros exercice de fonctions qu’elle dominait moins. Elle est restée calme, rédigeant exactement comme je le lui avais appris. Pourtant, ce n’était vraiment pas une matheuse. Mais sa confiance en elle a fait la différence… »
avec les chevaux
Pour qu’un transport en van, une sortie en extérieur, un spectacle ou concours se passe au mieux, le cavalier doit se comporter comme au quotidien, comme s’il n’y avait rien de nouveau, aucun enjeu. Le cheval sera toujours plus tendu devant la nouveauté que lorsqu’il est en terrain connu. Mais si son leader ne montre aucun signe d’inquiétude, cela le rassurera d’emblée.
Lorsque le cheval montre des signes de stress et fait de la résistance à ce qui est demandé, la meilleure réaction n’est pas de lui mettre la pression (parce qu’on est pressé et qu’il va nous mettre en retard…), mais au contraire de prendre le temps nécessaire de le rassurer. Le tout est de garder le lien de confiance qui l’unit à nous : c’est la clé indispensable pour venir à bout de chaque situation délicate sans danger et dans le confort.
Si un cheval ne veut pas embarquer, s’il ne veut pas passer à un endroit en balade, s’il ne veut pas s’approcher du public en spectacle ou du jury en compétition, c’est à l’humain de trouver la solution pour lui enlever l’appréhension et l’amener à faire ce qu’il souhaite tout en préservant le bien-être de l’animal.
C’est plus facile à dire qu’à faire…. J’ai mis des années pour en prendre conscience, puis pour parvenir à l’appliquer. Il m’a fallu oublier tout ce qu’on m’avait appris en club :
« C’est toi qui décides, il doit t’obéir. Oblige-le à faire ce que tu veux, c’est de la comédie. Si tu te laisses faire, il va continuer à se moquer de toi. Il faut le punir, sinon il recommencera ! » etc.
J’ai lutté contre moi-même et tous ces mauvais réflexes appris, afin de découvrir la réalité du mental du cheval. Grâce à la rencontre de moniteurs et de gens de chevaux différents, j’ai compris que la vérité était toute autre. Un cheval ne résiste pas pour se moquer de nous, pour nous faire perdre notre temps ou juste par esprit de contradiction. Il résiste car son instinct lui indique que ce qu’on attend de lui représente un danger pour sa survie, le plus grand ennemi du cheval étant (je me répète) sa propre peur.
Pour venir à bout des résistances de chevaux difficiles et parvenir à une relation de qualité, il faut agir tout autrement, garder en tête le « slow and well ». Je remercie tous les chevaux hypersensibles qui ont croisé ma route, car ce sont eux qui m’ont le plus remise en question et le plus appris. Merci Querida, ma regrettée dynamite… Merci à Kolina, ma dragonne et colosse aux pieds d’argile, avec laquelle la relation s’est considérablement apaisée depuis que je suis entièrement à son écoute. Merci à El Duende, mon p’tit mec testostéroné, aussi adorable qu’espiègle, qui m’apprend chaque jour la qualité de la connexion indispensable pour un travail en liberté.
Conclusion : lorsque que je lâche les rênes et que je le laisse galoper seul…
Arrive un moment où l’apprentissage – ou certains pans de l’apprentissage du moins – touche à sa fin. Le « maître » peut enfin laisser l’élève (et le cheval) agir seul, prendre ses propres initiatives.
Il est arrivé que certains de mes élèves se découvrent une fibre pédagogique et réexpliquent ce que nous avons fait ensemble à leurs camarades ou donnent, à leur tour, des cours particuliers dans les matières scientifiques pour se faire un peu d’argent de poche. Belle victoire sur leurs difficultés passées !
De nombreux anciens élèves me donnent de leur nouvelles : leurs études, leur travail, leurs amours et même pour certains leurs enfants ! C’est un bonheur de les voir heureux et épanouis dans leur vie de jeunes adultes. Je passe du statut de guide à celui d’ami, d’égal, de spectateur… C’est très satisfaisant et reposant.