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Extraits Carlène

Extrait 1 : Cavendish révèle à Carlène les pouvoirs dont elle n’a pas conscience…

«Elle sentait quelque chose de terrifiant se dégager de cet homme pourtant si calme, si rassurant, si gai. Elle continua sa prospection, essayant de sentir à quoi pouvait ressembler sa vie privée. Elle ne sentit rien… Pas de liens étroits, mais pas de véritable solitude non plus. Un espèce de brouillard vaporeux. Elle essaya de se concentrer. Si elle était à sa place, aurait-elle une famille ? Dans la pièce, pas de cadre de femme, ni d’enfant. Cavendish n’avait pas de famille, du moins de sa génération. Pour en avoir le cœur net, elle lui posa quand même la question :
« Excusez-moi si je suis un peu indiscrète… Vivez-vous seul ?»
Cavendish fut de nouveau sidéré.
«Oui… C’est très compliqué. Douloureux…
– Je n’insiste pas alors, murmura la jeune femme gênée.
– Dis-moi ce que tu sens, je veux savoir jusqu’où tu peux aller.»
Carlène regarda, dans le visage à la peau claire, les yeux ronds de Cavendish.
Sous son air joyeux, elle lut une profonde tristesse, celle d’un deuil.
– Vous avez perdu un être cher…
– C’est exact, mon frère jumeau…
– Vous viviez avec lui ?
– Les dernières années, oui.
– Il est mort de maladie…
– D’une très longue maladie, en effet…»
Il marqua un silence. Ses yeux avaient soudain pris l’aspect d’un ciel avant la pluie.
« Carlène, tu me troubles… Tu n’as pas idée. Personne d’autre avant toi n’est parvenu à me dire tout cela au premier rendez-vous. Personne…»
Il lui sourit, arc-en-ciel multicolore dans un ciel de traîne.
«Tu as un don. Le même que le mien. Celui qu’avait mon frère, aussi.
– Vous croyez ? C’est peut-être la chance du débutant…» s’excusa presque la jeune femme, en bredouillant.
«Non, tu as ce sixième sens, une capacité d’empathie hypertrophiée. Je ne sais même pas si je pourrais t’aider à progresser ! C’est plutôt toi qui va me faire avancer…»

Extrait 2 : avec Carlène, Mahona semble renaître à la vie et oublier son mal si singulier…

«Les deux filles profitèrent de la douceur du début d’après-midi pour se jeter à
l’eau. Mahona fut équipée d’une bouée et de brassards qu’elle ne rechigna absolument pas à mettre. Au contraire, elle les enfila seule, attendant juste que Carlène les gonfle. Puis, elle se jeta à l’eau. Elle semblait métamorphosée, à l’aise comme une sirène. Elle cria, en riant :
«Kaëne, Kaëne, Kaëne !!!!» sans doute pour prier Carlène de la rejoindre.
Si elle ne parlait pas avec des phrases, elle connaissait des mots et retenait en général les prénoms au bout d’un certain temps. Les naïades pataugèrent deux bonnes heures dans l’eau tiédie par la toiture transparente à effet de serre. Elles l’avaient ouverte pour profiter du soleil et du grand air. Dans l’eau, les mouvements désordonnés de la petite passaient presque inaperçus. Ils lui permettaient d’avancer, comme dans une nouvelle chorégraphie aquatique, entre chien et dauphin ! (…) Carlène proposa à Mahona de faire de la balançoire. Malgré la concentration qu’exigeait une bonne synchronisation entre pousseur et poussée pour avancer sans perdre l’équilibre, la petite fille sembla à l’aise et enthousiaste. Elle riait aux éclats, ce qui n’était pas courant… Lorsque Mercedes rentra du travail, la première, elle trouva sa fille endormie dans le canapé du salon, tranquille comme tout, lovée dans les bras de Carlène.»

Extrait 3 : Mahona s’ouvre enfin aux autres et met des mots sur son syndrome.

« « Maluca est un chien pour handicapé ? voulut savoir une première adolescente.
– En quelque sorte, oui, expliqua la jeune aspi. Il y a trois ans, lorsqu’elle est entrée dans ma vie, je ne pouvais pas parler en présence d’autres humains. Je suis atteinte d’une forme d’autisme que vous connaissez peut-être : le syndrome d’Asperger.
– Elle t’a appris à parler ?» demanda l’adolescente, sarcastique.
Mahona garda son calme, imperturbable. Elle savait que sa scolarité future se jouait peut-être dans les quelques minutes qu’elle était en train de vivre. Elle devait mettre toutes les chances de son côté pour être comprise par ses camarades.
«Il y a de cela, en effet. Je savais parler, mais j’étais trop angoissée pour converser avec des personnes véritables. L’autisme, parfois, cela vous pétrifie sur place, sans que vous ne puissiez rien faire contre. Elle m’a servi de médium, d’intermédiaire si vous préférez. Pour l’éduquer, j’ai dû lui parler souvent, à haute voix, même en présence d’autres personnes. Et petit à petit, je n’ai plus eu peur de m’exprimer même avec des humains.»
Un autre élève prit la parole :
« Ça craint «autiste», non ? C’est comme «trisomique» !»
Toute la classe éclata de rire. Mais Mahona ne connaissait pas encore la bêtise et la méchanceté gratuite caractérisant certains moments peu glorieux de l’adolescence. Elle ne sentit donc pas la provocation dans ce propos et se contenta de répondre toujours aussi tranquillement :
« Confondre l’autisme et la trisomie est aussi maladroit que de ne pas distinguer un chat d’un chien, ou une brune d’une blonde ou encore une Porsche d’un tracteur. Je t’expliquerai la différence un jour si tu veux. Je pensais qu’en quatrième on savait ces choses-là !» s’étonna la fillette bien plus étonnée qu’humiliée. L’adolescent, n’en revenant pas de s’être fait clouer le bec par une gamine de dix ans, se tut, stupéfait. « C’est quoi le truc d’asperge que tu as ? voulut savoir un autre garçon, venant un peu à la rescousse de son copain.
– C’est une forme de handicap dans lequel le patient comprend tout, mais est incapable de communiquer correctement avec les autres.
– T’es comme une intello en prison ? s’exclama la première fille qui avait posé une question sur Maluca.
– C’est un peu cela si tu veux, sauf que les portes de ma prison me permettent souvent d’en sortir maintenant.
– Pourquoi tu regardes toujours ta chienne ? revint à la charge un des garçons.
– Parce que je ne peux pas encore regarder les gens dans les yeux. Je sais que cela viendra un jour. Alors je regarde Maluca, en plus cela la rassure que je m’occupe d’elle.» expliqua Mahona.
Le garçon resta perplexe devant celle qu’il considérait un peu comme un OVNI. Son copain prit la relève :
«T’as un QI de fou, alors ? T’es méga intelligente ? demanda-t-il, provocateur.
– Certes, les tests de QI ont donné des résultats surprenants. A en croire leurs résultats, je pourrais suivre les cours au lycée. Tu sais, non seulement le QI ne rend pas davantage heureux, mais en plus ce n’est pas le seul paramètre qui rentre en jeu pour une scolarité réussie.» »